Ubu Ministre

octobre 2004

Une pièce satyrique sur « l’affaire Roland Veuillet »

Par Alain Guyard

Ubu Ministre
Ubu Ministre clône de Ubu Roi

Acte 1

Scène 1

La scène se passe dans les palais du Bonhomme Doda et de sa femme. Décor de palais royal de l’Europe du Nord, rustique et lugubre. Le vent siffle. Le bonhomme Doda enfile un pantalon de chasse en sautillant, boudiné qu’il est dans ses habits royaux. Il porte une couronne de fer. Sa femme est couronnée aussi, elle astique la lourde table de chêne au milieu de la scène. Derrière eux, les trônes royaux recouverts de peaux d’ours.

Bonhomme Doda

— Qu’on m’apporte mon chapeau de chasse à plume de faisan, ma femme, car, je m’en ce soir en mon cabanon de chasse à ripailler avec le roi de Pologne et l’archidoxe de Transylvanie.

Mégère Doda

— Et dans quel état vas-tu me revenir, encore, Bonhomme Doda, avec l’hermine toute crottée et la gueule en sac à vin, pardi ! Que vas-tu donc fêter ainsi, foutredieu, avec la moitié de l’Europe à couronne ?

Bonhomme Doda

— Il se trouve que je vais fêter l’agonie d’un gueux mien, Mégère Doda, d’un gueux qui se passe l’arme à gauche tout seul, sans ma fliquerie, mes geôles et mon écorche-goret.

Mégère Doda

— Ah ça ! Magnifique ! C’est d’une économie !

Bonhomme Doda

— Et sais-tu pourquoi, ma femme ? Parce qu’il ne mange plus, l’empapaouteur !

Mégère Doda

— A-t-il donc pas faim ?

Bonhomme Doda

— Dame, que si !

Mégère Doda

— Pourquoi donc ton gueux mange-t-il pas ? Ca défie le sens ! Faut qu’ça mange, un homme ! Que va dire Merdia ?

Bonhomme Doda

— Merdia n’sait pas. Et Merdia n’en saura rien. Crois m’en.

Mégère Doda

— Méfiance, mon mari mon bonhomme Doda. Bouder la mangeaille à s’en mourir, ça n’se fait pas en démocrassouille ! Fais le battre, qu’il mange, foutrediantre ! Casse-lui les dents et mets-y de la purée, du fromage de bique et du boudin frais. Remplis-le un peu avant la venue de la Merdia. On sait jamais.

Bonhomme Doda

— Veut plus manger !

Mégère Doda

— L’est chagriné ?

Bonhomme Doda

— Oui da.

Mégère Doda

— Que lui vaut ça ?

Bonhomme Doda

— Depuis que je l’ai fait déporter loin de ses chiards et de leur âtre.

Mégère Doda

— Pourquoi déporter un gueux ? Ailleurs aussi y en a.

Bonhomme Doda

— Mon gueux en savait trop.

Scène 2

Entre son Excellence Rectale. Il a une longue traîne, une couronne de bronze, des lunettes en écailles. Il est monté sur une chaise d’école en bois dont les pieds sont tenus par quatre valets en livrée.

Les époux Doda

— Excellence Rectale.

L’Excellence Rectale

— Par ma langue à pus, Proviseur, j’ai ouï dire par mes espions qu’on fait ratatiner de famine un gueux ? Est-ce d’Orlando qu’il s’agit ?

Bonhomme Doda

— Si fait Excellence.

L’Excellence Rectale

— Mais pourquoi donc ?

Bonhomme Doda

— L’en savait trop sur nos p’tites combines.

L’Excellence Rectale

— Silence, paltoquet provisard, les murs ont des oreilles. Si Merdia l’apprend, nous sommes faits comme des rats en boîte !

Bonhomme Doda

— Orlando finira sec comme un pou sous mon ongle, sans souci Excellence ! Et Merdia s’en contrefout ! Merdia parle des matches de branle-charrue et des guerres lointaines ! Merdia dit que le monde est beau et que nous sommes les Justes. Merdia ne voudra jamais causer d’Orlando qui nous rappelle que nous sommes laids et veules.

L’Excellence Rectale

— Mais que sait précisément Orlando sur nos… hum… petites combines ?

Bonhomme Doda

— Excellence rectale, Orlando a su que j’avais fait de faux-papiers au dernier conseil d’administration royale. Mais rassurez-vous ! Ah, dame, c’est que je ne me suis pas laissé faire ! Je te me l’ai déporté en Sibérie caucasienne, ah.

L’Excellence Rectale

— Je sais, je sais, bonhomme Doda. Mais te voilà bien bênet bênet.

Bonhomme Doda

— Pourquoi donc excellence ?

L’Excellence Rectale

— Comment l’as-tu fait déporté ?

Bonhomme Doda

— Ma meute à courre, Seigneur, ma clientèle et tous mes lappe-cul ! Tous l’ont condamné pour faute professionnelle. Et sitôt mis au cachot.

L’Excellence Rectale

— Tes lappe-cul sont des andouilles !

Bonhomme Doda

— C’est bien pour ça qu’ils sont lappe-cul !

L’Excellence Rectale

— Réfléchis bougre de Proviseur. Quand a-t-il été accusé de faute ?

Bonhomme Doda

— Euh… (se frappant le front de sidération) Palsambleu… Diantre de foutre ! Je suis fait… tandis qu’il faisait grève !

L’Excellence Rectale

— Tu es ferré, Provisard. Notre alliance est rompue. On ne peut condamner en travailleur au motif qu’il fait mal son travail un jour de grève, allons triple crème d’andouille ! Singe à Coulisse ! Marque-page ! Je fuis céant par le transsibérien, me cacher loin du scandale dans les provinces extérieures. Prie Marie Mère de Dieu que la Merdia ne révèle rien au grand jour. Sinon c’en sera fait de toi et de ta carrière.

L’Excellence rectale sort en catastrophe, cravachant ses porteurs, laissant le couple ébaubi.

Scène 3

Mégère Doda

— Bougre de crevure de mari. Que vas-tu devenir maintenant ? Et moi, et ma carrière ? Et nos fils héritiers ? Et mes bâtards ? Et ma garde-robe ? Et mon train de vie ? Ah ça, ordure, pissat de vieille chienne !

Bonhomme Doda

— A pas crainte, ma femme, a pas crainte. La Merdia me tourneront pas l’alentour. Je sens pas assez la pompe à merdre pour attirer les mouches.

Mégère Doda

— Toi oui, mais Orlando, non. Il a fait son mois de jeûne. Il va crever la bouche ouverte. Et toi, tu es là, bras ballants, t’apprêtant à festoyer. Nigaud ! Vaurien ! Satrape ! Centriste ! Et jette-moi ce chapeau de chasse ridicule ! (elle lui jette le chapeau) Mets ta houppelande en peau d’ours ! (elle l’habille) Diligente une calèche ! (elle siffle par la fenêtre) Prend tes meilleurs lieutenants, ceux que tu as nourri de ton sein au berceau (elle claque dans les mains, deux hallebardiers arrivent) Va voir le Mamamouchi de Grenelle, baise son anneau ministériel et…

Bonhomme Doda

— Et quoi, Mégère, et quoi ? Il me laissera m’empatouiller dans mes salmigondis.

Mégère Doda

— Alors dis la vérité : qu’en falsifiant le parchemin tu obéissais aux ordres de la famille régnante qui voulait commercialiser des cuissots d’enfant aux compagnies d’ogres qui sèment la terreur dans nos campagnes.

Bonhomme Doda

— Mais la famille régnante a changé. C’est un nouveau mamamouchi à Grenelle, depuis le changement de gouvernement.

Mégère Doda

— Mais les compagnies d’ogres sont toujours les mêmes ! Et leur appétit s’est accru. Dis la vérité, mon homme, dis que tu as signé ce traité, parce que toutes les écoles doivent dorénavant produire de la chair fraîche pour les grandes compagnies ogresques. Les gouvernements changent, mais tous prostituent les fils de la nation aux appétits des ogres.

Bonhomme Doda

— Mais le mamamouchi le sait bien.

Mégère Doda

— Oui, mais la Merdia ne le sait pas.

Bonhomme Doda

— Et alors ?

Mégère Doda

— « Et alors » « Et alors », fichtracourde, que tu es niais. Le Mamamouchi ne veut pas que ça s’ébruite, pas plus que toi. Vous vous mettrez d’accord pour faire taire la Merdia.

Bonhomme Doda

— Ma femme, tu es bonne.

Mégère Doda

— Mon mari, tu es lent.

Le Bonhomme Doda sort

Acte II

Scène 1

La scène se passe dans les appartements royaux du mamamouchi de Grenelle. Le Mamamouchi est côté cour, alangui dans un trône grandiose, et des esclaves nubiles l’éventent avec des feuilles de palme. Il boit du nectar dans un hanap doré tandis qu’un ballet de jeunes filles danse pour lui, accompagné au douk lybien et à la mandoline napolitaine. Une couronne de feuilles de laurier d’or pare son front altier.

Entre côté jardin le bonhomme Doda. Il passe devant la scène en glissant comme un ver, baisant le sol, ondulant maladroitement le postérieur dressé en signe d’adoration, jusqu’à se prosterner devant le trône.

Bonhomme Doda

— Grand Turc ! Que ta lumière repousse les ténèbres de la crise de l’autorité !

Le Mamamouchi de Grenelle

— Fi soit de l’étiquette, bonhomme Dhuoda ! Relève toi, essuie ta bouche, et me dis ce qu’il y a.

Bonhomme Doda

— Il y a qu’un gueux mien meurt de faim sous vos fenêtres de votre cabinet, Mamamouchi.

Le Mamamouchi de Grenelle

— Qu’y puis-je ? Je lui ai offert de la brioche. Il n’en a point voulu piéça.

Bonhomme Doda

— Il y a que ce gueux pleure d’être loin de son âtre.

Le Mamamouchi de Grenelle

— Moi aussi je suis loin de la cheminée, et mes arpions en sont tout engourdis.

Bonhomme Doda

— Il y a que ce gueux fut puni alors qu’il faisait grève

Le Mamamouchi de Grenelle

— Oh… Tu n’imagines pas que je suis arrivé à porter l’hermine ministérielle et l’étole cardinale en ne condamnant que des coupables. Mes galères sont pleines d’enfants innocents, et mes gardes suisses sont tous des égorgeurs de pucelles. Tu m’ennuies, bonhomme Doda. Gardes, faites le manger par les lions. (Il le regarde en coin ; un silence, puis s‘avise) Par deux lions.

Bonhomme Doda

— Mais il y a, excellence, qu’il faisait grève parce que j’ai contresigné une fausse-pièce donnant nos fils et nos fils en pâture aux ogres !

Le Mamamouchi de Grenelle

— Point n’en ai souci…

Bonhomme Doda

— Et que j’ai converti l’école en garde-manger à croquemitaine !

Le Mamamouchi de Grenelle

— Peu me chaud…

Bonhomme Doda

— Et que ce faisant, j’ai appliqué les consignes et directives du gouvernement précédent, et du vôtre. Et que la Merdia va finir par le savoir.

Le Mamamouchi de Grenelle

— Gardes, retenez les bêtes, et servez de mon vin capiteux à mille francs la bouteille à mon ami le bonhomme Doda.

Bonhomme Doda

— (pour lui-même, triste et pensif) Et que la Merdia va finir par le savoir.

Le Mamamouchi de Grenelle

— Et que vous allez tous nous faire tomber.

Bonhomme Doda

— Oh, par ma queue et mon chapeau en feutre, qu’allons-nous devenir. Qu’allons-nous devenir. Oh ma femme et mon pays me manquent. La bonne odeur du ragoût de ma nourrice. Oh les doux vallons de mon enfance. Oh ! Oh !

Le Mamamouchi de Grenelle

— Silence. (Après un silence) Dehors tous ! (tous s’éxécutent, sauf les gardes. Doda fait mine de s’en aller à reculons et sur la pointe des pieds) Non. Pas toi. Gardes, faites mander Orlando.

Scène 2

Orlando se présente, flanqué de deux gardes suisses, couvert de chaînes.

Le Mamamouchi de Grenelle

— Orlando, avance... Ainsi, c’est toi, le rebelle.

Orlando

— Je ne le suis point. J’obéis aux lois. (Montrant Doda) Lui est le perturbateur. Lui a désobéit aux lois en forgeant des pièces illicites. Comme a désobéit Son Excellence rectale…

Le Mamamouchi de Grenelle

— Mes espions m’ont dit que tu intriguais contre mon pouvoir… Est-ce vrai ?

Orlando

— Votre bonté a permis qu’existe une opposition légale. J’en fais partie. Est-ce une faute que de se conformer aux lois et d’en user selon ce qu’elles prescrivent ?

Le Mamamouchi de Grenelle

— Non point.

Orlando

— Mais c’en est une que de les transgresser. Comme ils le firent, tous deux.

Le Mamamouchi de Grenelle

— (en aparté) Diantre, le diable a la langue bien pendue. Gardons-nous de sa dialectique et clouons lui le clapet par une saillie bien sentie.

— Orlando, écoute-moi bien. La légalité n’est pas tout. Parfois, la morale nous oblige, si nous voulons nous conformer au devoir, à désobéir à la lettre et au droit pour respecter les exigences de la justice que nous sentons battre en notre cœur. Et vois-tu, Orlando, c’est bien ce qu’ont fait le bonhomme Doda ci-présent et l’Excellence rectale. Il leur a fallu un peu… tordre le droit, mais c’était pour hâter plus vite encore le cours de la morale et le progrès de la justice…

Orlando

— … Où y a-t-il justice, quand c’est pour transformer nos écoliers en bétail et en chair-à-goulu ?! Fi soit de votre prétendu sens de la justice ! Il est bien plutôt le droit du plus fort !

Un fidèle Mamelouk de la garde du Grand Mamamouchi

— Sérénissime Commandeur des Savant, la Merdia frappe à l’huis de Grenelle, et s’en vient quérir des nouvelles d’Orlando pour sa gazette d’images du soir.

On entend des coups sourds à la porte

Le Mamamouchi de Grenelle

— Foutredieu !

Bonhomme Doda

— Sapristi ! Nous sommes faits ! À moi, mon escopette, que je brise la caboche à la Merdia !

Le Mamamouchi de Grenelle (Chuchotant)

— Silence, Doda ! Silence Voulez-vous donc tout faire calancher ? N’avez-vous donc jamais vu Merdia. Elle est immense ! Votre escopette ne lui ferait rien moins qu’une morsure de puce.

Orlando

— A moi, Merdia, à moi, venez ici et faites vous l’écho de mon indignation légitime ! de mon combat pour la dignité !

Le Mamamouchi de Grenelle (Chuchotant)

— Silence aussi, Orlando ! Chuchotez plutôt ! Croyez-vous donc que la Merdia est morale ? Elle va où elle entend du bruit. Elle rampe et s’étend jusqu’à la source de la moindre rumeur. Et là, elle frappe et tue tout, gentils comme méchants, hommes femmes et enfants, bétail petit et grand.

Orlando (Chuchotant)

— Que voulez-vous dire ? Mais je croyais que vous étiez le maître de la Merdia.

Le Mamamouchi de Grenelle (Chuchotant)

— Nous sommes plutôt ses esclaves. C’est elle qui fait et défait les gouvernements. (après un silence) C’est elle qui commande aux ogres.

Bonhomme Doda

— Sainte Marie Mère de Dieu, patronne de toute la Russie… Elle arrive

La porte éclate, la lumière s’éteint, on entend plusieurs détonations, des cris d’horreur et d’autres de bêtes fauves. Silence.

Scène 3

Orlando, au milieu des décombres fumants. Ses chaînes sont brisées. Autour de lui, ses camarades de combat, avec des drapeaux rouges et noirs, comme sur une barricade peintes par Delacroix, avec des fusils à baïonette.

Orlando

— Mes chers amis, vous êtes venus à temps pour me sauver. La justice est enfin triomphante. L’ère du lait et du miel peut advenir, et le peuple, à l’ombre des cerisiers en fleurs, pourra goûter en paix les fruits de son labeur.

Camarade d’Orlando no1

— Finie l’exploitation !

Camarade d’Orlando no2

— Finie l’oppression !

Camarade d’Orlando no3

— Finie la domination !

Camarade d’Orlando no4

— Finie…

Bonhomme Doda

— Top ! Top ! Top !

Orlando

— Mais bonhomme Doda, que faites-vous là ? Vous n’avez pas été massacré par la révolution ?

Bonhomme Doda

— Eh bien… On m’a dit de venir à la scène finale…

Orlando

— Qui donc vous a dit cela ?

Bonhomme Doda

— Le moteur de l’Histoire.

Orlando

— Le moteur de l’histoire ? Et pourquoi, diable ?

Bonhomme Doda

— Parce qu’il n’y a pas de fin de l’histoire. Il faut une dialectique incessante. J’ai appris ça dans les écoles du parti. C’est le négatif du négatif qui permet que s’engendre le positif, comme c’est dit dans la philosophie du Droit de Hegel. Et croire que l’histoire…

Quelqu’un dans le public se lève, monte à l’assaut de la scène avec une tarte à la crème et entarte le bonhomme Doda. Rideau. Musique d’orchestre roumain à très très vive allure.

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