Les 4 ans de combat d’un prof contre sa mutation d’office

mardi 16 janvier 2007

Roland Veuillet, 50 ans, est en grève de la faim depuis 3 semaines pour demander le réexamen de la sanction. Depuis bientôt 4 ans, ce conseiller principal d’éducation nîmois est à Lyon contre son gré

Le Progrès - 16-1-2007

par Muriel Florin

« Au début, on a mal au ventre parce qu’on a faim. Après ça passe. Il faut faire attention à ne pas faire trop d’efforts ». Sous le bonnet, le regard est toujours aussi déterminé. Mais les traits sont tirés. Roland Veuillet, 50 ans, est en grève de la faim depuis trois semaines. La dernière fois, le conseiller principal d’éducation a tenu 39 jours avant que l’administration nomme un médiateur.

« Je demande une nouvelle fois au Ministre d’ouvrir une enquête administrative »

Depuis septembre 2003, cet enseignant proteste contre sa mutation d’office à Lyon. L’administration l’a sanctionné pour avoir « pris l’initiative de libérer, lors d’une grève des maîtres d’internat, trois maîtres au pair et une collègue stagiaire » et pour avoir fait preuve d’un « comportement agressif et violent » envers des fonctionnaires de son lycée.

Pour Roland Veuillet, militant actif de Sud-éducation, cette sanction est disproportionnée au vu de ce qui se pratique en réalité dans l’Éducation nationale.

Il estime que le chef d’établissement du lycée Dhuoda de Nîmes et le recteur du Gard ont voulu lui faire payer son activité syndicale.

15000 kilomètres « d’arbitrairathons »

Début janvier, l’enseignant n’a pas rejoint son poste [1]. Dès Noël, il a cessé de s’alimenter, installé jour et nuit dans sa petite voiture blanche, garée devant le tribunal administratif de Lyon. Depuis ce week-end, un camping-car prêté la remplace devant le bâtiment où son dernier recours a été rejeté [2]. Cette nouvelle grève succède à une vingtaine « d’arbitrairathons ». Le nom donné aux marathons de protestation, effectués depuis trois ans et demi pendant les vacances scolaires. Une vingtaine en tout, soit 15000 kilomètres, ponctués par des actions infructueuses auprès de la justice et de l’Éducation nationale.

Avec un minimum de psychologie, les responsables de l’Éducation nationale auraient dû s’attendre à ce que le bras de fer s’éternise. Car la personnalité de Roland Veuillet est taillée d’un bloc. Sa volonté est peu commune, son parcours en témoigne. Embauché très jeune comme ouvrier chaudronnier sur les chantiers de la Ciotat, puis éducateur dans un institut pour jeunes handicapés mentaux, l’homme s’est ensuite hissé au poste de conseiller principal d’éducation en passant des concours.

« Je suis très ferme et quand je m’engage, je tiens mon engagement, c’est tout » avait-il annoncé dès 2004. Persuadé d’être dans son droit, rétif aux négociations en catimini, il ne recule pas devant le sacrifice familial. Depuis bientôt quatre ans, ses trois enfants, restés à Nîmes, voient leur père le week-end. L’administration ne veut rien entendre. En janvier 2005, elle a même balayé un avis du Conseil supérieur de la fonction publique, demandant la levée de la sanction. Roland Veuillet s’en étonne encore. « Nous sommes dans un État de droit, et pourtant, il y a des choses qu’on ne respecte pas. Mon dossier personnel de fonctionnaire est bourré de documents syndicaux, ce qui est contraire à la règle. Mon dossier disciplinaire comporte des incohérences. Je demande une nouvelle fois au Ministère d’ouvrir une enquête administrative » martèle-t-il, debout devant le tribunal. « Je ne supporte plus d’être traité comme quelqu’un qui a fait des choses très graves.

J’attends un signe ».

Muriel Florin


Gagnant/perdant

Chacun campe sur ses positions, et s’enfonce dans l’impasse. Pour l’administration de l’Éducation nationale, le conseiller principal d’éducation a commis une faute. Sa mutation d’office correspond à l’échelle des sanctions : les fonctionnaires, comme beaucoup de salariés, peuvent être déplacés sur décision de leur employeur. Un éloignement de 300 kilomètres est moins grave que la perte sèche d’un emploi. Pour Roland Veuillet, la sanction est injustifiée et a un caractère antisyndical. Il sait que la mutation d’office n’est en réalité prononcée que pour des agissements très graves, et le clame.

Si l’administration accepte d’ouvrir une enquête, elle admet un doute autour d’un cas largement rendu public, soit un accroc à son autorité. Si les conclusions de cette enquête lui donnent tort, elle devrait certainement payer des dommages et intérêts. Si l’homme cesse de protester, il admet non seulement qu’il est en faute, mais il trahit aussi un engagement de longue date.

« Le vrai moyen de gagner beaucoup est de ne vouloir jamais trop gagner et de savoir perdre à propos ». Pour trouver la sortie, les deux parties pourraient méditer cette phrase de Fénelon, un auteur présent dans les manuels scolaires.

M.F.

mis en ligne par Gilles Frapper


[1Il est affecté à mi-temps au lycée la Martinière à Lyon 8e et au collège du Tonkin à Villeurbanne

[2La décision a surpris. Le Commissaire du gouvernement avait préconisé d’annuler la sanction et noté quelques brèches dans le dossier. Fait inhabituel, les magistrats n’ont pas suivi cet avis.

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